Témoignage Viktoriya et Dmytro , Ukraine
Gloire à Jésus Christ ! Nous sommes Viktoriya et Dmytro. Nous sommes mariés et habitons la belle ville d’Odessa, dans le sud de l’Ukraine, au bord de la Mer Noire. Nous faisons partie des Equipes Notre-Dame depuis 8 ans et nous étions impliqués comme Foyer chargé de la diffusion en Ukraine jusqu’à l’année dernière. Nous sommes un couple catholique classique, mais venons de familles de religions différentes. Dmytro a grandi dans une famille orthodoxe, Viktoriya a été élevée dans la foi catholique.
Cela n’a en rien été un obstacle pour créer une magnifique famille, fondée sur des bases solides, et au sein de laquelle nous cheminons ensemble dans la foi catholique. Nous avons quatre jeunes enfants, trois garçons et une fille. Nous sommes à la tête d’une petite entreprise et nous construisons une maison pour notre famille. Nous aimons prendre soin de notre jardin et des fleurs qui poussent près de notre maison. Nous aimions énormément voyager et avions beaucoup de projets pour les années à venir.
Cependant, notre monde de paix et de joie s’est écroulé du jour au lendemain. Notre vie a changé pour toujours le 24 février 2022, comme pour de nombreux Ukrainiens. La guerre a éclaté. Notre quotidien, mais également notre existence, ont soudainement été remis en question. Notre ville a été bombardée par l’armée russe au tout début de la guerre. Il est impossible de décrire ce que nous avons vécu. Pendant ces deux dernières années, nous avons expérimenté la peur, le désespoir, et le doute presque quotidiennement. Les premiers jours de la guerre furent les plus éprouvants de notre existence.
Au début, nous ne pouvions pas croire ce qui nous arrivait : nous pensions une guerre impossible dans l’Europe du XXIe siècle. Puis, nous nous sommes sentis sans ressource et désespérés, abandonnés face à un terrible ennemi qui veut nous détruire. La peur et l’incertitude quant à l’avenir ont marqué les jours qui ont suivi. Nous avons été confrontés à un choix extrêmement difficile.
Maintenant que la guerre faisait rage dans notre pays, nous devions prendre une décision quant à notre avenir. Fallait-il quitter notre maison, nos proches et nos amis et fuir vers l’inconnu, sauvant ainsi nos enfants des bombardements ? Ou bien rester chez nous, en Ukraine, et être quotidiennement exposés au danger ?
La décision était difficile à prendre, car nous comprenions l’étendue de notre responsabilité vis -à-vis de nos enfants. Notre plus jeune fils avait alors 10 mois et nous ne pouvions pas rester avec lui dans la cave où nous nous cachions pendant les longues heures de bombardements, sans mettre sa santé en danger. D’un autre côté, nous savions que si nous partions, nous n’aurions plus jamais de patrie, étant à jamais loin de la terre qui nous a vus naître, cette terre qui est le seul endroit sur Terre où nous serions pleinement heureux, libres et où nous aurions nos repères.
Quand la guerre a commencé, nous participions tous les jours à une adoration au presbytère. Nous avons prié et demandé au Seigneur de nous montrer le chemin qu’Il souhaitait que nous suivions. Le plus difficile a été de prendre une décision, en mettant de côté nos doutes, en faisant totalement confiance à Dieu. Lors d’une messe, nous avons entendu ces paroles qui répondaient à nos questions, apaisant nos coeurs et qui, depuis ce jour, nous confortent dans notre décision : lors de la Révolution de la Dignité à Kiev en 2014, sa Béatitude Lubomyr Husar, archevêque émérite de l’Église grécocatholique, a prononcé les mots suivants : « Une personne affamée peut être achetée, mais une personne libre peut seulement être tuée ». Nous avons alors compris que le seul endroit où nous pourrions être libres est l’Ukraine, quel que soit le pays où nous fuirions. Nous avons senti, dans notre chair, que tant que nous prierions chez nous, le Seigneur nous protégerait, nous et notre pays, et ne nous abandonnerait pas.
L’occupation de la banlieue de Kiev par l’armée russe où vit ma soeur et sa famille a été une grande épreuve pour nous. Pendant plus de trois semaines, leur vie a été menacée. Ma soeur, ses deux fils et son mari étaient alors hébergés par des inconnus. Ils se cachaient dans un sous-sol sombre et froid avec une autre famille. Les femmes sortaient du sous-sol une fois par jour pour préparer quelque chose à manger. Chaque jour était plus difficile que le précédent, les réserves de nourriture s’épuisaient ; ils n’avaient ni gaz, ni électricité. Les communications mobiles étaient souvent interrompues, les enfants ne sortaient presque pas et les chars ennemis faisaient des rondes dans les rues. Nous avons tout tenté pour les faire sortir de la zone occupée, mais nos efforts n’ont pas abouti. Un jour, ma soeur nous a appelés et nous a demandé de ne pas abandonner ses enfants si elle et son mari ne survivaient pas, car il n’y avait plus d’espoir. De violents combats secouaient leur région et ils ne savaient pas s’ils seraient encore vivants à l’issue. Dans des moments comme celui-là, vous prenez conscience de votre impuissance face à la situation présente. Tristesse, douleur et larmes – c’est tout ce que j’ai ressenti après cette conversation !!! La seule chose qui nous ait aidés à ne pas abandonner fut la prière et une confiance totale en la volonté de Dieu. Toute notre équipe a prié pour ma soeur et sa famille pendant une adoration et a demandé à notre Seigneur de sauver leurs vies. Après presque un mois d’occupation, ma soeur, ses enfants et la famille qui les hébergeait, ont eu l’opportunité de quitter Kiev avec un convoi humanitaire. C’était le chemin le plus dangereux vers la liberté. Ils devaient traverser des postes de contrôle ennemis et des territoires hostiles. Leur route était bloquée par les carcasses de voitures criblées de balles et incendiées de ceux qui avaient tenté leur chance avant eux, sans succès. Leur convoi a essuyé plusieurs fois des tirs, les voitures qui les précédaient ont été abattues et tout le convoi a fait demi-tour pour prendre une autre route. Le désespoir, la peur et la mort étaient leurs compagnons de voyage quotidiens. Ils ont dû parcourir environ 250 km jusqu’à la ville où vivent nos parents. Nous avions peu d’informations et cela rendait la situation d’autant plus difficile à supporter. Le soir du deuxième jour, ma mère m’a appelée et m’a dit d’une voix tremblante mais joyeuse : « Katia est à la maison ». Je ne peux pas décrire la joie et la gratitude que j’ai ressenties alors.
Pendant plus d’un mois, j’avais demandé à notre Seigneur cette seule grâce : « S’il vous plaît, sauvez-les ! » et Il m’a entendue !!! Suite à cela, nous avons connu un regain de confiance envers le Seigneur et avons remis nos vies et celles de nos proches entre ses mains. A chaque messe, nous remercions le Seigneur pour chaque jour de notre vie, pour la chance de vivre dans nos maisons, pour la chance d’être entourés des nôtres et de pouvoir les serrer dans nos bras. Nous avons commencé à lutter, à notre manière, pour la libération de notre pays. Au début de la guerre, les femmes des Equipes Notre Dame ont mis en place un Rosaire perpétuel, que nous prions encore aujourd’hui. C’est ainsi que nous protégeons notre pays des attaques.
Pendant cette période, nous avons connu beaucoup de peines et de souffrances, mais en même temps, nous avons été témoins de nombreux miracles accordés par Notre Seigneur. Nous sommes maintenant habitués à vivre en temps de guerre, même si ce n’est pas facile de le reconnaître. Les enfants plus âgés ne réagissent plus aussi vivement aux sons des explosions et des alarmes aériennes. Ils savent qu’ils doivent courir se mettre à l’abri.
Malheureusement, nous avons dû commencer un traitement pour notre deuxième fils qui souffre de troubles du sommeil à cause des fréquents bombardements nocturnes à Odessa. Et quand mon enfant de 7 ans me demande : « Pourquoi veulent-ils me tuer ? », je ne sais pas quoi lui répondre. C’est peut-être la pire question que des enfants puissent poser à leurs parents. Nos plus jeunes enfants, malheureusement, ne savent pas ce qu’est vivre en temps de paix, parce qu’ils étaient trop jeunes pour se souvenir de notre vie heureuse avant la guerre. Le premier mot de notre plus jeune fils fut « Bouk ».
Comme le bruit d’une explosion. Nous, parents, nous nous sentons souvent coupables que nos enfants grandissent dans de telles conditions. Mais nous sommes reconnaissants à Notre Seigneur du fait qu’ils grandissent à la maison avec leur père. Parce que des milliers d’enfants ukrainiens ne reverront plus jamais leur père. La guerre en Ukraine a brisé des milliers de familles, lorsque des femmes et des enfants ont été contraints d’émigrer dans d’autres pays pour ne jamais plus revenir. Quand un homme revient chez lui après avoir été témoin de terribles événements au combat, il a besoin d’une longue rééducation physique et psychologique. Certaines femmes ne reverront plus jamais leur mari parti se battre. Et pour nous, ces réalités ne sont pas des statistiques, mais bien nos proches, les membres de nos Equipes. Nous comprenons que nous avons une grande responsabilité envers la société, blessée, éprouvée et désespérée. Nous nous devons d’être un soutien pour toutes ces personnes : nous percevons que c’est notre mission. Si Dieu a voulu pour nous une telle épreuve, nous la traverserons dignement, ensemble, en nous appuyant fermement sur Lui et en Lui faisant confiance à chaque minute de notre vie.
Nous vivons toujours dans l’incertitude : les problèmes auxquels nous faisons face et les dangers qui nous entourent sont nombreux. Mais si le Seigneur est avec nous, alors qui sera contre nous ?
Voici quelques mots maintenant sur la situation des Équipes Notre-Dame en Ukraine. Lorsque la guerre a éclaté, les membres des Equipes Notre-Dame d’Ukraine ont cessé de se réunir. De nombreuses familles ont quitté Odessa. Plus tard, une fois la ligne de front stabilisée, certaines familles sont revenues. Mais il y en a aussi beaucoup qui ne reviendront jamais : c’est notre drame personnel car nous avons perdu nos amis. Le drame, c’est aussi que de nombreuses familles ont été déchirées par cette guerre. Des femmes avec leurs enfants sont parties à l’étranger, tandis que les hommes sont restés en Ukraine.
Beaucoup de couples n’ont pas pu supporter cette relation à distance et se sont séparés au cours de ces deux années. Mais le Seigneur se soucie de tout le monde et agit quand bien même la situation semble désespérée. Pendant la guerre, de nombreux couples ont terminé leur période de pilotage, et une nouvelle Equipe a été créée. Nous sommes contactés aujourd’hui par des personnes qui veulent intégrer une communauté et traverser les difficultés auxquelles fait face un couple marié avec l’aide de Dieu, au sein des Équipes Notre-Dame. Nous nous réunissons à nouveau chaque mois.
Le mouvement des Équipes Notre-Dame se développe en Ukraine, c’est un miracle ! Nous avons organisé des retraites pour les couples mariés sur le thème « Les conjoints en temps de guerre ». Elles ont été prêchées par un aumônier militaire qui accompagne des familles de militaires ébranlées, des veuves et des personnes blessées durant les combats. Notre principale mission aujourd’hui est de traverser cette période avec Dieu, en gardant comme un trésor les bienfaits dont Il nous comble ; à apprendre à vivre et à aimer notre vie là où nous sommes ; à donner naissance et à éduquer nos enfants dans le bonheur, même sous les bombes. Et croyez-nous, ce n’est pas simple quand les bombardements durent depuis plus de deux ans et que nous ne savons pas combien de temps ils dureront encore. Mais ce n’est qu’avec Dieu que nous pouvons supporter tout cela, en restant ses enfants bien aimés.