Méditation Marina Marcolini
Le 28-29 : Ouand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Jésus fait comme s’il devait aller ailleurs, seul, à la nuit tombée. Comme auparavant, il avait fait semblant de ne rien savoir, il fait à présent semblant de vouloir prendre congés d ‘eux. Cela fait aussi partie de sa pédagogie. Rappelons-nous que les disciples le voient encore comme un étranger, ils ne l’ont pas encore reconnu.
Jésus ne s’impose pas. Il attend un geste, une invitation. Soudain vient l’invitation exprimée de manière insistante à travers des paroles chaleureuses remplies d’humanité ; Mais ils insistèrent : « reste avec nous, car le soir tombe », ce qui équivaut à dire: « nous ne voulons pas que tu marches seul dans l’obscurité de la nuit, à travers les dangers et les difficultés de la route. Viens avec nous, nous t’accueillerons chez nous, nous t’ouvrirons la porte car nous avons confiance en toi. Nous partagerons le repas, tu pourras te reposer, passer une nuit tranquille. Ce fut tellement beau de faire la route ensemble ; tu n’es plus un étranger pour nous mais tu es devenu un ami! »
Et pour les disciples, il y a aussi le désir de réciprocité: cet étranger leur a dit des paroles qui les ont ravivés, nourri leur âmes quand ils étaient perdus et avec un besoin de proximité. Ils désirent rendre la pareille avec ce qu’ils ont : un peu de compagnie, un repas ensemble, un endroit sûr où ils pourront dormir.
J’imagine le coeur heureux de Jésus, la joie de se sentir accueilli et de pouvoir ainsi disposer de plus de temps pour se donner aux disciples. Et la joie surtout de découvrir que les graines semées dans leur coeur ont pu germer ; les deux compagnons d ‘Emmaüs démontrent à travers leurs paroles accueillantes qu’ils o nt compris le coeur du message de Jésus : a ime ton prochain, aide-le dans le besoin, partage ce que tu possèdes, ouvre ton coeur, regarde l’inconnu comme si tu regardais un ami.
En manifestant leur sens de l’hospitalité vers l’étranger, alors qu’ils n’ont pas encore reconnu Jésus, les disciples reconnaissent ce que St Paul recommande dans la lettre aux Hébreux : « Oue l’Amour fraternel soit fort. N’oubliez pas l’hospitalité ; chacun en la pratiquant, sans le savoir, a accueilli des anges ! Hébreux 1 3, 1-2). »
C’est quelque chose à se rappeler constamment. Ces paroles de Paul donnent des frissons si nous pensons aux étrangers que nous rejetons. Jésus a ainsi commencé ainsi par l’accueil de tous et des aspects les plus sombres cachés en notre fort intérieur, il nous rejoint nos ténèbres et la misère qui est en nous, que Jésus sait caresser avec sa tendresse, envelopper de sa miséricorde.
Je note également un autre aspect dans le passage de l’évangile d’aujourd’hui : ce sont les disciples qui donnent à Jésus et il reçoit d’eux l’hospitalité.
Dans les évangiles, Jésus se met à plusieurs reprises à la place de ceux qui ont besoin d’aide: je me souviens de sa demande d’eau fraîche à la Samaritaine au puits et de sa demande de compagnie auprès de ses disciples pendant la nuit de la passion dans le jardin des Oliviers…
Jésus désire notre amitié, notre amour, notre aide.
Comment aurait fait le nouveau-né Jésus pour survivre s’il ne s’était pas confié dans les bras novices de cette jeune fille qui l’avait mise au monde? Sans défense, vulnérable, il était totalement dépendant de l’amour courageux de sa très jeune mère et de la conscience honnête et tendre de Joseph.
Dieu est un père qui promet le salut mais qui vient comme un fils et nous demande de l’accueillir dans nos bras, de le nourrir et de le câliner. Dieu a besoin de nous.
C’est le plus grand mystère et peut-être que c’est ce qui apparaît le plus difficile à accepter : Dieu qui s’enroule dans nos bras, me demande de prendre soin de lui, et de, lui donner de quoi le nourrir pour grandir dans le monde. « Il dépend de nous pour aimer le monde et lui montrer combien il l’aime » (Mère Teresa de Calcutta). « En définitive, c’est le Christ qui aime en nous » (François, GE, l 07 et 21 ).
Nous pouvons nous aussi offrir l’hospitalité à Dieu, lui dire : viens dans ma maison, je serai heureux de t’avoir près de moi je partagerai avec toi ce que j’ai, je te parlerai de moi et j’écouterai ce que tu as à me dire. Tu seras mon ami le plus proche. Viens, nous avons tous les deux besoin de nous prendre dans les bras.
A chacune de nos prières et à !’Eucharistie, souvenons-nous de renouveler cette invitation : je t’ouvre mon cœur, viens ! Il y a de la place pour toi, viens !
Mon cœur est en désordre, je le sais, mais tu m’aimes, viens!
Se rendre accueillant, faire de la place en soi pour Dieu, désencombrer notre cœur pour l’accueillir, c’est peut-être la chose la plus importante que nous puissions faire. Car tout part de là, de lui laisser l’espace et la liberté d’agir en nous. Nous pouvons relier ce geste offrant l’hospitalité des deux compagnons d’Emmaüs à deux autres moments de la messe : le Credo de la profession de foi et l’offertoire. En disant Credo, je dis je fais confiance, je te veux avec moi et je t’offre ce que j’ai.
« Nous n’avons peut-être pas l’habitude de penser à !’Eucharistie comme à une demande faite à Jésus à rester avec nous. Nous sommes plus enclins à penser que Jésus nous invite dans sa maison, à sa table, à son repas. Mais Jésus veut être invité. Sans invitation, il ira ailleurs. Il est très important de comprendre que Jésus ne s’impose jamais à nous. Tant que nous ne l’aurons pas invité, il restera toujours un étranger…
Le Credo est le grand OUI : oui nous avons confiance en Toi… » (Nouwen)
Et maintenant, puisqu’il nous reste quelques minutes, puisqu’aujourd’hui nous sommes arrivés à la moitié de notre parcours, au troisième jour, je vous propose de récapituler les pas que nous avons faits sur les traces des deux disciples au cours des derniers jours, en examinant les dénouements narratifs du passage de l’évangile de Luc choisi pour cette conférence. C’est un exercice qui, je crois, nous réserve des surprises éclairantes. Jusqu’à présent, nous avons lu trois séquences narratives, une par jour.
Si nous observons avec attention, on se rend compte que chacune de ces séquences est ouverte, c’est à – dire que son issue n’est pas gagnée d’avance, mais dépend du libre arbitre des protagonistes.
Prenons la première séquence que nous avons lue mardi. Les deux disciples discutent en chemin ? Jésus s’approche d ‘eux sans être reconnu et fait une demande, à laquelle les deux répondent. Jésus pose la question : « Quelles sont ces conversations que vous avez entre vous sur le chemin ? La suite de cette question n’est pas du tout évidente. Réfléchissons un instant : les disciples avaient plusieurs options. Face à la rencontre de l’étranger et à sa question, les réactions possibles étaient nombreuses.
Ils auraient pu, par exemple, être agacés par l’étranger, le prendre pour un intrus (rappelons qu’ils étaient tristes et tout absorbés par leurs préoccupations, enfermés dans leurs problèmes). Pour l’écarter de leur chemin, ils auraient pu lui répondre agressivement (de quoi vous mêlez -vous ? Ce sont nos affaires) ou poliment (désolés, nous n’avons pas le temps, nous sommes pressés) ou ne pas répondre du tout, se contenter de lui jeter un regard agacé, de passer de l’autre côté de la rue et d’accélérer la cadence.
Les disciples font un choix autre ; ils se laissent surprendre par la demande impertinente de cet homme qui paraît « hors du monde » et décident que cela vaut la peine de parler avec lui. Jésus leur lance la balle et les disciples ne la laissent pas tomber mais la relancent. C’est une étape décisive, comme les disciples sont en chemin, pour lui parler, ils doivent l’accepter comme un compagnon de route.
Nous voyons alors à présent la troisième séquence que nous avons écoutée aujourd’hui : la nuit tombée, les disciples invitent Jésus à s’arrêter avec eux et Jésus accepte.
Ici aussi, nous voyons les disciples à un « carrefour » de l’histoire : rien ne présageait qu’ils décideraient de l’accueillir ils n’auraient pas forcément décidé de l’accueillir. Après une belle promenade avec cet étranger si fascinant à écouter, ils auraient pu lui dire poliment au revoir, le remercier vivement pour ce qu’il leur avait expliqué, lui souhaiter un bon voyage et une bonne soirée.
De cette façon, ils ne l’auraient jamais reconnu, leurs chemins se seraient séparés et l’histoire se serait arrêtée là.
Je vous suggère de lire l’Évangile comme s’il s’agissait d’un « livre à la croisée des chemins » ou d’un livre-jeu, ces histoires qui présentent plusieurs alternatives possibles que le lecteur peut choisir, en s’identifiant à un personnage. Ses choix conditionnent le déroulement de l’intrigue, menant à des fins multiples. Ce sont des livres que l’on peut regrouper sous la formule: « Choisissez votre propre aventure ».
En nous plongeant dans le récit de Luc, nous pouvons nous aussi « choisir notre propre aventure ». Nous voyons qu’à chaque « carrefour », les disciples choisissent de se mettre en jeu, en optant librement pour
l’alternative la plus difficile, qui est aussi la plus créative parce qu’elle produit un nouvelle direction du récit qui a une fonction transformatrice importante sur la vie des disciples :
– l’avoir accueilli comme compagnon de voyage leur permet d’écouter les explications de Jésus sur les Écritures et de sentir leur coeur brûler ;
– l’accueillir à leur table en tant qu’invité permet aux disciples de le reconnaître.
S’attarder sur ce point est éclairant. Cela nous fait réaliser que notre vie a toujours une fin ouverte et que nous pouvons, par des choix généreux et créatifs, changer la fin, aller vers la plus belle des fins.
En un mot : les situations, les rencontres que la vie nous offre sont des occasions de grandir en conscience, en amour et en liberté, comme le veut Jésus.
Nous sommes libres de saisir les opportunités ou non et de les laisser passer ou d’en faire des occasions de croissance.
Je pense que chacun d’entre vous aurait de nombreux témoignages à apporter à ce sujet. Je vous donne n petit exemple.
Au moment où j’écrivais ce commentaire, en janvier, j’étais chez moi et on a frappé à ma porte, un étranger, maghrébin, qui vient de temps en temps. li s’appelle Khalid et porte un sac avec des chaussettes, des gilets et des petits tapis à vendre. Ma première réaction à l’intérieur, en le voyant – invisible – par la fenêtre, a été cette pensée : je fais comme si je n’étais pas chez moi, j’ai tellement de choses à faire. Dans sept jours, le commentaire pour le congrès de l’END est attendu, et Khalid est un bavard qui ne s’arrête pas !
Puis une autre petite voix en moi a dit : mais tu ne peux pas le renvoyer !!!li va avoir froid, ouvre la porte et offre-lui du thé chaud ! J’ai écouté la deuxième voix, mais à contrecoeur, car lorsque j’arrête d’écrire, il m’est difficile de me concentrer à nouveau et j’ai peur de ne pas pouvoir respecter les délais. Entre tous les pièces de puzzle à faire coïncider pour concilier mon travail universitaire, ma mission d’évangéliser et mon rôle de grand-mère de quatre petits-enfants, même une demi-heure de travail manquée devient un problème …
J’ai ouvert à Khalid. Nous nous sommes assis à table et plus d’une heure s’est écoulée avant qu’il ne parte. Cette heure est passée très vite, je ne l’ai même pas remarquée. Khalid, qui buvait tranquillement son thé chaud, sans se presser, comme s’il n’avait pas remarqué mon inquiétude, m’a parlé de sa religion. Je ne sais pas pourquoi la conversation s’est immédiatement orientée vers ce sujet. li m’a dit que, selon l’islam, il me faisait un cadeau à ce moment là. Je n’ai pas compris. Khalid a poursuivi : « Oui, je te fais un grand cadeau, parce que je te donne la chance de devenir meilleur, comme Allah veut que nous le soyons. Si tu n’étais pas venu, tu n’aurais pas eu la chance d’être accueillant envers quelqu’un et ton coeur aurait été plus fermé, et Allah n’aime pas cela.
Cela ne plaît pas à Allah, mais à votre Dieu non plus. Je suis convaincu que votre Dieu et mon Allah pensent de la même façon.
Quel grand enseignement ! Combien de fois ai-je découvert des perles de sagesse qui m’ont éclairée dans les paroles des pauvres, des étrangers, des croyants d’autres religions, des incultes, de ceux qui sont différents de moi.
Si vous les écoutez, ils vous permettent de voir les choses sous un autre angle et cela peut être éclairant et vous permettre, au prochain « carrefour » de ce jeu passionnant et difficile qu’est la vie, de faire le meilleur choix.
« Notre destin en tant que chrétiens : donner et mendier. Se donner pour que les autres puissent nous donner quelque chose. Dieu veut que nous mendions auprès des autres. li exige de nous que notre humilité prenne la forme de la mendicité. Dans toutes les situations de la vie » (Boros).