Méditation de Marina Marcolini

Lc 33-35 : A l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon Pierre”, A leur tour ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.

Nous sommes arrivés à la dernière séquence du récit de l’évangile de Luc : les disciples partent aussitôt pour retourner à Jérusalem, et ils racontent aux Onze ce qui s’est passé et ils découvrent que Jésus leur est aussi apparu en ville.

Nous pouvons noter que même dans cette dernière étape, le récit est à la croisée des chemins et pourrait avoir des dénouements différents, ce qui dépend, une fois encore, de ce que décident les deux disciples :

1. les disciples pourraient décider d’attendre, ne jugeant pas urgent le voyage à Jérusalem ;

2. les disciples pourraient décider de ne pas se rendre à Jérusalem, en gardant donc pour eux la nouvelle de la résurrection.

Comme nous l’avons déjà observé dans les passages précédents, même dans cette dernière situation, les disciples font le choix le plus créatif : aller à Jérusalem leur permet de vivre la nouvelle de la résurrection non seulement comme une joie personnelle, mais comme une force de vie qui ravive la communauté, cette communauté qui risquait de s’éteindre et dont ils peuvent à nouveau se sentir membres vivants comme annonciateurs de Jésus ressuscité.

Notons un aspect important : les disciples ne sont pas envoyés en ville par un ordre de Jésus, mais ils agissent de leur propre volonté, en ressentant l’urgence dans leur coeur. Jésus ne dit pas faites ceci et cela, non ; ce qu’il a expliqué dans les Écritures et l’expérience eucharistique vécue ensemble ont transformé les disciples et les ont mis en mouvement, sans nécessité d’ordres, d’injonctions.

Ils sont libres et font ce qu’ils font parce qu’ils le souhaitent, parce qu’ils ressentent quelque chose d’urgent en eux, et non pour suivre un commandement extérieur.

Celui ci est un de ces passages de l’Évangile dans lequel on donne une grande importance à la liberté, et c’est une très belle chose, moi je la trouve émouvante.

Nous aussi, nous pouvons nous mettre en mouvement poussés par ce désir, car nous sentons quelque chose qui presse en nous. L’Eucharistie se conclut avec ces mots : La messe est finie, allez dans la paix, ou, le dimanche de Pâques, Allez et portez à tous la joie du Seigneur ressuscité. Nous pouvons interpréter ces mots comme : partez en mission (Nouwen). Et il ne s’agit pas d’avoir une mission spécifique à remplir, mais de retourner à sa vie quotidienne en demeurant en mission.

« On oublie que ce n’est pas que la vie a une mission, mais qu’elle est mission » (Xavier Zubiri, in GE 28).

Moi j’aime utiliser l’image du chantier : l’engagement chrétien comme travail sur un chantier de bâtiment. Le royaume de Dieu est un chantier à l’oeuvre en bas de chez nous. Nous sommes ses ouvriers.

Choisir la mission, c’est choisir sa propre identité. D’un côté, il y a la possibilité de rejeter la responsabilité, de l’autre de l’assumer, et d’un troisième côté encore, il y a l’indécision, la procrastination. Quelle identité les deux disciples d’Emmaüs choisissent-ils ?

Ils retournent à Jérusalem où Jésus avait été exécuté comme un criminel quelques jours auparavant.

Que signifiait aller dans cette ville dont ils s’étaient éloignés ?

Il s’agissait de s’embarquer à nouveau dans l’aventure très dangereuse et magnifique pour laquelle Jésus les avait appelés. Sans hésiter, ils sont partis et sont allés porter l’annonce à Jérusalem, se sont joints à la communauté, estimant qu’ils avaient une contribution si importante à donner que cela valait la peine de risquer d’être arrêtés comme Jésus. L’alternative entre aller ou ne pas aller à Jérusalem nous fait réfléchir à ce qu’est réellement le péché.

Une lecture religieuse qui voit en Dieu un monarque qui, d’en haut, veut notre obéissance, interprète le péché comme un « refus d’allégeance au Souverain ».

Mais la liberté laissée par Jésus à ceux qui le suivent nous fait comprendre que le péché est autre chose : c’est « le refus d’assumer la responsabilité de nourrir, d’aimer… C’est le désir de se séparer des autres comme si nous n’avions pas besoin d’eux ou qu’ils n’avaient pas besoin de nous » (McFague).

Le mouvement général de l’ensemble du passage de Luc que nous avons lu au cours des cinq derniers jours va du ressentiment et du sentiment de perte, de la colère, de la peur et de la dépression à la gratitude en passant par l’étonnement, ce qui conduit à un désir de renouer avec la communauté et de s’engager.

Cette transformation, grâce à la rencontre avec Jésus, s’est produite chez les disciples au coeur d’une perte, à un moment très dur de leur vie, alors qu’ils perdaient pied, qu’ils se donnaient des réponses complètement erronées, qu’ils avaient pris une mauvaise direction et étaient aveugles.

Cela nous rassure sur le fait que cette force de la foi, capable de raviver notre volonté et capacité d’être utiles au monde, n’est pas une condition de moments idylliques, qu’il ne faut pas s’attendre à se sentir « en accord » avec Dieu, sûrs, sans doutes, quand tout va bien. « En fait, c’est précisément cette façon de voir les choses qui nous rend malheureux… C’est juste maintenant, à l’instant même où nous perdons pied, que prend racine la graine de l’attention vis à vis de ceux qui ont besoin de notre aide et de découvrir notre bonté » (Chödrön).

Le désir des disciples de revenir à Jérusalem, de revenir au coeur du conflit violent entre le pouvoir politico-religieux et Jésus, met en évidence la valeur sociale de la foi, le désir de  » changer le monde » que Jésus allume en chacun de nous. Et le pape François en a écrit une belle page dans Evangelii gaudium, que j’ai le plaisir de vous proposer : « En lisant les Écritures, il apparaît du reste clairement que la proposition de l’Évangile ne consiste pas seulement en une relation personnelle avec Dieu. Et notre réponse d’amour ne devrait pas s’entendre non plus comme une simple somme de petits gestes personnels en faveur de quelque individu dans le besoin, ce qui pourrait constituer une sorte de “charité à la carte”, une suite d’actions tendant seulement à tranquilliser notre conscience. La proposition est le Royaume de Dieu (Lc 4, 43); il s’agit d’aimer Dieu qui règne dans le monde. Dans la mesure où il réussira à régner parmi nous, la vie sociale sera un espace de fraternité, de justice, de paix, de dignité pour tous. Donc, aussi bien l’annonce que l’expérience chrétienne tendent à provoquer des conséquences sociales […].

L’espérance chrétienne véritable, qui cherche le Royaume eschatologique, engendre toujours l’histoire. […].

En conséquence, personne ne peut exiger de nous que nous reléguions la religion dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et nationale, sans se préoccuper de la santé des institutions de la société civile […].

Une foi authentique – qui n’est jamais confortable et individualiste – implique toujours un profond désir de changer le monde, de transmettre des valeurs, de laisser quelque chose de meilleur après notre passage sur la terre. » Je vous souhaite, de tout coeur, de pouvoir apporter votre contribution à ce changement de monde, et de le faire dans la joie, même dans les inévitables difficultés.

Je vous souhaite de pouvoir agir sur votre propre territoire de mission, en donnant le meilleur de vous-mêmes, car chacun d’entre vous est unique, spécial et que personne ne peut se mettre à votre place, personne ne peut apporter ce que vous pouvez apporter, avec vos talents qui n’appartiennent qu’à vous.

De nombreux chemins peuvent être empruntés. Le pape François nous en indique certains prioritaires : la construction de la paix, la lutte pour l’éradication de la pauvreté, la sauvegarde de l’environnement dont nous dépendons.

Par où commencer ? Je crois que l’histoire des disciples d’Emmaüs peut nous fournir des indications très utiles pour nos défis d’aujourd’hui. Luc raconte que les deux vivent une expérience de renversement de leurs jugements et d’ouverture de leurs yeux.

Avec les mots d’aujourd’hui, nous pouvons dire qu’au lieu de ressasser les nouvelles des téléjournaux et nous faire manipuler par des récits déformés de la réalité, nous pouvons chercher la vérité. Nous pouvons écouter la bonne nouvelle de Jésus qui ne désigne personne comme son ennemi et qui se rallie aux pauvres, aux opprimés, aux rejetés.

Nous pouvons travailler sur nous-mêmes et aider les autres à « créer une nouvelle mentalité qui pense en termes de communauté, de priorité de la vie de tous sur l’appropriation des biens par quelques-uns » (EG).

En fin de compte, c’est de cela qu’il s’agit : viser l’objectif de notre vie sur les choses qui comptent et ne pas se laisser distraire par les choses peu signifiantes. On gaspille de l’énergie et du temps à des choses telles que : s’activer à gagner plus d’argent, chercher à paraître, faire des achats, regarder son smartphone à chaque instant, vivre une vie centrée sur nous-même… c’est une hémorragie de temps précieux, qui nous détourne des choses importantes et qui vole du temps à notre vie, qui est perdu à jamais. On risque ainsi d’arriver à la fin de notre vie avec des regrets de ce que nous n’avons pas fait. « Ce n’est pas que notre vie soit courte, c’est que nous en gâchons une grande partie.

C’est nous qui la rendons brève en gaspillant le temps. La vie est assez longue et il nous en est donné une quantité suffisamment généreuse pour obtenir les meilleurs résultats si elle était toute bien employée… La vie est longue si tu l’utilise bien » (L. A. Sénèque, De la brièveté de la vie).

Si nous sommes au clair sur notre objectif, nous pouvons, à chaque carrefour de la vie, bien choisir notre aventure, aller vers Jérusalem au lieu de nous arrêter à Emmaüs et ainsi ne pas perdre notre temps.

Dès le plus jeune âge, à partir de choix décisifs tels que : quelles études et quel travail je veux entreprendre, puis tout au long de la vie, à chaque choix petit ou grand, toute personne devrait se demander à chaque carrefour : si je m’engage dans cette voie, vais-je rendre le monde un peu meilleur ? Vais-je apporter un peu plus d’amour, d’attention, de tendresse ? Y aura-t-il plus de santé, d’éducation, de justice, de culture ? Vais-je ajouter un peu de beauté et de joie ?

L’environnement naturel dans lequel je vis, sera-t-il en meilleur état ? Si la réponse est oui, je peux me fier qu’il s’agit du bon chemin.

Les deux d’Emmaüs, qu’ils aient été un couple ou deux amis, ressentaient l’urgence de viser l’objectif de leur vie vers ce qui compte. Et ils ont choisi de vivre leur foi non seulement dans une dimension intime : ils ont quitté chez eux et se sont mis en route. Une théologienne a rappelé que « les religions meurent lorsque leur lumière s’éteint, c’est-à-dire lorsque leurs enseignements n’éclairent plus la vie réelle de leurs fidèles. …. Là où les personnes font l’expérience que Dieu a encore quelque chose à dire, les lumières restent  allumées » (Johnson).

Les disciples ont ressenti leur vie ravivée dans leur rencontre avec Jésus, ils ont compris qu’ils faisaient partie d’une grande histoire dans laquelle Dieu donne aux hommes et aux femmes la force de créer un monde différent que celui-ci, un monde selon la volonté de Dieu.

Ce monde nouveau, Luc nous l’annonce dès le début de son évangile. Du dernier chapitre dans lequel nous nous trouvons, faisons un saut en arrière au premier chapitre, et nous trouvons les paroles de Marie dans le Magnificat, un chant qui n’a pas seulement une valeur spirituelle mais aussi sociale: renverser les puissants de leurs trônes et élever les humbles, combler de biens les affamés et renvoyer les riches les mains vides… (Lc 1, 52-53).

C’est un chant qui déchaine toute la puissance libératrice vers les plus petits du message évangélique, les « merveilles » que Dieu accomplit (Lc 1,49).
Aujourd’hui, nous avons un énorme besoin de ressusciter les grands idéaux, à commencer par la paix, qui signifie l’abolition de la guerre une fois pour toutes, et de ses racines qui se trouvent dans un système économique malade qui a besoin des guerres.

Ces jours-ci, nous avons entendu des paroles d’évangile qui font de nous des témoins d’espérance. Dans un climat de pessimisme diffus et de résignation, elles viennent nous dire que « la mort n’est pas le dernier mot, l’énergie nouvelle de la résurrection passe encore aujourd’hui ; la branche qu’on croyait stérile et ratatinée, redevient tendre.

Laisse donc le frémissement de la résurrection entrer et démeurer en toi. Et qu’il vainque, libére et déchaine en toi les énergies d’une nouvelle résistance au mal ; qu’il libére et déchaine en toi toute l’authenticité de votre vie » (Casati).

En conclusion de notre parcours ensemble, je souhaite à nous toutes et tous de pouvoir être de plus en plus des instruments entre les mains de Dieu pour ces  » merveilles « . Et je voudrais terminer par une très belle prière du Père Giovanni Vannucci, serviteur de Marie et mystique contemporain. Une prière avec laquelle nous demandons la force de surmonter nos crises, d’aller de l’avant même lorsqu’on perd pied, en gardant bien vivante la certitude que Jésus nous attend au coin de la rue, pour nous rejoindre en chemin.

Une prière qui nous fait nous sentir unis, qui nous fait expérimenter la force du bien qui circule entre nous, l’Esprit de Dieu qui nous aime.

Une prière qui nous encourage à vivre notre vie comme une mission, comme des personnes courageuses qui n’ont pas peur d’aller à contre-courant, qui ne se résignent pas au monde tel qu’il est, qui osent relancer les plus grands idéaux.

Parce-que si Jésus est ressuscité, cela signifie que l’amour, la paix, la liberté, la justice ne peuvent pas mourir, ils ressusciteront toujours avec lui. « Je demande de lever les yeux vers les étoiles, cet esprit sain de l’utopie qui rassemble les énergies pour un monde meilleur” (François, La sagesse du temps).

Je vous embrasse toutes et tous avec beaucoup d’affection.

Transmets ton esprit, par Giovanni Vannucci

Transmets ton Esprit, Seigneur, comme la brise de printemps
qui fait fleurir la vie et épanouir l’amour
Que passe ton Esprit comme l’ouragan
Qui déchaine une force inconnue
et réveille les énergies enfouies
Transmets Esprit dans notre regard
pour l’emmener vers d’horizons plus lointains et plus vastes
Qu’il passe dans notre coeur pour qu’il brûle d’une ardeur qui ne demande qu’à rayonner
Que ton Esprit passe sur nos visages attristés
pour y faire réapparaitre le sourire.
Qu’il passe sur nos mains fatiguées
pour les faire revivre et les remettre joyeusement à l’oeuvre.
Transmets sur nous ton Esprit […].
et qu’il rester dans toute notre vie pour l’agrandir
et lui donner tes dimensions divines.
Amen.

Faites grandir les couples dans la foi