Nous vous demandons pardon

Nous vous demandons pardon

Lors du Rassemblement de Lourdes en novembre 2021, Mgr de Moulins-Beaufort a fait une longue intervention sur le thème de Laudato Si’ et du « prendre soin de la création ». Mais il a souhaité revenir, en préambule, sur le rapport de la CIASE. Voici son intervention. (Nous avons conservé un style oral dans la transcription de son propos.)
Il m’est demandé aujourd’hui de vous parler de Laudato Si’, du « prendre soin de la création » et de ce que la vie conjugale et familiale pouvait exprimer de ce « prendre soin ». Mais évidemment, il m’est impossible de parler aujourd’hui ici, en plus à Lourdes, devant vous qui êtes pères et mères de famille, grands-parents aussi, sans évoquer évidemment le terrible rapport de la CIASE sur les abus sexuels ou les agressions et violences sexuelles commises dans l’Église et par des prêtres.
Et évidemment sans évoquer les décisions de l’Assemblée de NOUS, les évêques, décisions prises vendredi et lundi derniers. Avant tout, je crois important de vous demander pardon pour l’opprobre qui pèse maintenant sur le nom de catholiques que vous portez. Je suis conscient que la manière dont les évêques, l’institution ecclésiale dans son ensemble, a pu traiter ou ne pas traiter ces faits depuis des décennies, fait qu’aujourd’hui le nom de catholique est entaché d’une certaine honte. Et que d’autre part, la confiance native – je ne dis pas naïve – que vous pouviez avoir dans l’Église et dans les prêtres se trouve elle aussi abîmée.

Avant tout, je crois important de vous demander pardon

pour l’opprobre qui pèse maintenant sur le nom de catholiques que vous portez.

Les faits, nous les connaissons. Nous avons commencé à en entendre parler à partir de l’an 2000, en tout cas, à en entendre parler médiatiquement. Mais c’est surtout depuis 2016, depuis « la parole libérée », à travers l’association qui s’est constituée à Lyon, que nous avons reçu des témoignages que nous n’imaginions pas. Et comme vous le savez, il avait été décidé en novembre 2018 de créer une commission spéciale confiée à Monsieur Sauvé pour avoir une idée de l’ampleur de ces faits. Nous ne soupçonnions pas celle-là, nous ne pouvions pas soupçonner, nous n’imaginions pas – personne ne le pouvait – les résultats que la Commission présidée par Monsieur Sauvé allait mettre au jour. D’une part sans doute à cause d’un certain aveuglement, une certaine cécité, ou d’une certaine surdité plus ou moins volontaires. Aussi parce que les personnes victimes, pour des raisons bien compréhensibles, ne parlaient pas, souvent parce qu’elles avaient intériorisé le fait qu’elles ne pouvaient pas parler, parce que ON (ce peut être leur agresseur, ce peut être leur environnement, ce peut être une autorité ecclésiale) leur avait demandé de ne pas le faire, leur avait intimé de ne pas parler, mais sans doute plus profondément encore, parce que beaucoup sentaient bien que, s’ils parlaient, ils ne seraient pas compris, si elles parlaient, elles ne seraient pas comprises, elles ne seraient pas écoutées, ni prises au sérieux
Et plus profondément encore, un troisième niveau, parce que, quand il s’agit d’un enfant, eh bien, il n’y a pas de mots pour dire cela ; qu’est-ce qu’un enfant comprend d’un geste de nature sexuelle et qu’est-ce qu’il peut être capable d’en dire ? Comment est-ce qu’il peut mesurer que la peur ou la honte ou la gêne ou l’effroi qu’il éprouve sont naturels, alors qu’il se trouve confronté à un geste posé sur lui par quelqu’un qui lui est présenté comme étant bienveillant ou bienfaisant ?
Ce qui est nouveau depuis 2016 et qui est très important, c’est que l’on sait, on mesure que le traumatisme causé par une agression ou une violence sexuelle chez un enfant ne s’éteint pas, que c’est une violence qu’il lui faudra toute sa vie affronter, porter, que chacun le fait de manière différente. Mais qu’en tout cas la souffrance causée ne s’éteint pas.

Alors que l’ON a agi, – ON c’est l’Église, mais c’est aussi la justice, c’est aussi parfois la médecine ou les psychologues – comme si l’enfant allait oublier la souffrance causée, ce qui fait que l’ON s’est peu ou pas préoccupé des enfants atteints.

Voilà. D’où, vendredi dernier, la décision des évêques de reconnaître enfin la responsabilité institutionnelle de l’Église, au-delà des fautes personnelles qui demeurent et qu’il faut pouvoir repérer, et puis aussi d’ouvrir un chemin de médiation et de réparation, y compris par l’indemnisation pour les personnes victimes. Et ce qui a été décisif pour nous, c’est d’accepter d’affirmer cela sans nous préoccuper des conséquences juridiques, économiques, financières que cela pouvait avoir, mais simplement parce que nous sommes, nous voulons être, l’Église de Jésus ; non pas une institution qui se protège – Jésus n’est pas venu pour créer une institution de plus qui fait du mal et qui se protège – mais pour pouvoir atteindre tous les humains et leur apporter quelque chose de la bienveillance de Dieu. Donc, puisque nous avons fait le contraire, puisque s’est développé un certain système ecclésial ou ecclésiastique qui a provoqué le contraire, nous devons l’assumer, pour pouvoir en libérer, libérer de ce poids, les personnes qui en ont été victimes et pour pouvoir dégager l’Église afin qu’elle soit vraiment l’Église de Jésus.

Et nous espérons suivre ainsi un peu le Seigneur dans son abaissement en espérant la résurrection et le don de l’Esprit Saint. D’où encore différentes mesures qui ont été prises, comme d’en appeler au Saint-Père pour qu’il envoie des personnes évaluer avec chacun d’entre nous la manière dont nous nous découvrons de toutes sortes de manières, depuis 2016, à travers des mouvements comme #MeToo, nous découvrons un peu partout qu’il y a de la violence, de la violence et de l’agression sexuelle sur les mineurs, sur les majeurs. Et il y a là donc un fait humain qu’il nous faut prendre en compte et qui fait aussi partie du défi qu’il y a à relever si nous prétendons prendre soin de la création.
Et c’est justement cela peut être qui nous permet de viser le point commun, qui peut éclairer ce que nous avons à dire et à faire et ce que vous avez à dire et à faire, vous comme Équipes Notre-Dame ou membres des Équipes NotreDame, c’est que ce qui est commun à tous ces crimes, à toutes ces violences, ces agressions, tous ces abus, c’est une attitude de prédation.

Cette attitude de prédation, nous la retrouvons dans notre attitude à l’égard de la Création qui nous entoure, de la maison commune que nous habitons. Ce qui fait souffrir profondément ceux et celles qui sont victimes de ces abus, de ces violences et de ces agressions, c’est d’être traités comme des choses. Comme des choses pour le désir, pour la concupiscence de tel ou tel.

Mais c’est aussi ce que nous vivons collectivement, sans doute pas chacun individuellement, mais ce que nous vivons collectivement dans le système de production et de consommation que nous avons construit à l’égard de l’ensemble de la planète et peut être même du cosmos dans lequel nous nous trouvons ; nous traitons tout comme de pures choses à notre disposition, desquelles nous pouvons tirer tout ce qu’il nous faut pour satisfaire nos désirs.

Et il n’y a pas de limite mise
à nos désirs ou à nos concupiscences, on peut même dire que nous avons créé un système économique dont le moteur est une exacerbation constante du désir, un renouvellement constant des besoins, de manière indéfinie.

Article de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, Archevêque de Reims, Président de la Conférence des Evêques de France. Extrait de la Lettre n°246 des Equipes Notre-Dame avril/mai 2022

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